La gastroparésie ralentit la vidange de l’estomac sans qu’il y ait apparence d’une obstruction mécanique. Elle est observée dans plusieurs conditions médicales.
Plus de la moitié des personnes atteintes du diabète peuvent souffrir de ce trouble, qui est susceptible d’entraîner des complications dans la période de rétablissement après une chirurgie abdominale. De nombreuses personnes en font l’expérience sans qu’il y ait une explication médicale claire.
La gastroparésie est associée à des nausées, à des vomissements et à des pertes d’appétit, qui sont tous des symptômes courants chez les personnes vivant avec la migraine. Il y a donc un intérêt grandissant pour déterminer comment la gastroparésie peut provoquer ou alimenter ces symptômes chez les gens touchés et en quoi elle peut limiter l’efficacité des médicaments utilisés couramment en cas de crise de migraine.
La meilleure façon de se représenter l’estomac, c’est de le voir comme un élément spécialisé et fondamental du tractus gastro-intestinal, qui est essentiellement un long tube entouré de muscles qui se contractent et se relâchent de façon à acheminer les aliments que nous ingérons pour permettre l’absorption des nutriments et l’évacuation des déchets.
Le fonctionnement de l’estomac est un peu plus compliqué. Les aliments doivent le traverser, mais ils doivent aussi y demeurer un certain temps, afin de permettre à l’acide gastrique de les décomposer pour favoriser une meilleure absorption dans l’intestin. La contraction musculaire dans l’estomac sert donc deux objectifs : mélanger le contenu à l’acide produit par l’estomac et acheminer ce contenu à l’intestin. La fonction de malaxage requiert la contraction des muscles près de la sortie de l’estomac (afin de conserver les aliments à l’intérieur de l’organe et d’assurer une meilleure décomposition). À l’inverse, la poussée requise pour acheminer les aliments dans l’intestin exige un relâchement de ces muscles près de la sortie, afin de permettre le transit. Cette coordination entre la contraction et le relâchement est entièrement involontaire et repose en partie sur un riche réseau de nerfs du système nerveux autonome. (Le nerf vague joue un rôle important dans bon nombre de ces fonctions.)
La gastroparésie est diagnostiquée dans des études qui évaluent la vitesse à laquelle l’estomac vide son contenu dans l’intestin grêle. Les études sur la vidange gastrique chez des patient·es aux prises avec la migraine démontrent clairement une incidence accrue des dysfonctionnements de la vidange gastrique lors d’une crise de migraine, et plusieurs de ces études permettent d’établir une corrélation entre l’ampleur du dysfonctionnement et la fréquence et l’intensité des symptômes ressentis par le sujet (nausée, vomissement, perte d’appétit)1. Est-ce dire que ce dysfonctionnement est présent chez les patient·es entre les crises? La réponse est moins claire. Certaines études font état d’une dysfonction2, d’autres non3.
Cette distinction paraît importante. Certain·es chercheur·euses avancent que la gastroparésie qui accompagne la migraine découle simplement des effets de la douleur sur les fonctions gastriques. Une telle hypothèse suggère que des changements se manifestent uniquement lors des crises. Plus récemment, d’autres chercheur·euses ont avancé que les effets sur les fonctions gastriques sont inhérents à la migraine. Le système nerveux autonome, dont le point d’origine coïncide avec des régions du tronc cérébral impliquées dans le déclenchement de la migraine, jouerait un rôle déterminant dans la gastroparésie chez les personnes atteintes de migraine. Ces chercheur·euses mettent la lumière sur des études faisant état de la présence d’une gastroparésie entre des crises de migraine (soit lorsque le·la patient·e n’éprouve pas de douleur) et avancent que la douleur n’est pas la cause de la gastroparésie, mais bien un aspect parmi d’autres du processus lié à la migraine.
Bien plus qu’une simple curiosité scientifique, la gastroparésie qui accompagne la migraine a des conséquences réelles pour les gens qui cherchent à atténuer leurs douleurs migraineuses. Lorsque l’estomac se vidange lentement, l’assimilation d’un médicament utilisé pour soulager une crise peut être retardée. L’objectif de quelques-unes des premières études de la gastroparésie chez des gens touchés par la migraine était d’ailleurs d’évaluer l’absorption des médicaments contre la migraine.
Cette conscience de la présence de la gastroparésie chez les personnes atteintes de migraine et de ses effets néfastes sur l’absorption des médicaments a été la source de plusieurs améliorations dans le traitement des crises de migraine. Une des stratégies a été de concevoir des médicaments qui ne transitent pas par l’estomac. Certains triptans, par exemple, sont administrés par voie intranasale ou par injection. La consommation d’un médicament administré sous voie orale dans une solution effervescente (avec une boisson gazéifiée ou dans une préparation médicamenteuse anti-inflammatoire aux propriétés effervescentes) semble favoriser une meilleure absorption et un soulagement plus rapide. Une autre stratégie consiste à combiner un traitement de crise avec un médicament qui améliore la vidange gastrique (de nombreux médicaments contre la nausée ont un tel effet, mais pas tous).
La gastroparésie s’ajoute aux éléments qui nous rappellent que la migraine ne se résume pas à un simple état de douleur et que les crises de migraine (et la portée du système nerveux) peuvent avoir des effets aux ramifications importantes.
À propos de l'auteur
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Dr Liam Durcan, neurologue Dr Liam Durcan a obtenu son diplôme de médecine à l’Université du Manitoba et a fait sa résidence en neurologie à l’Université McGill, à Montréal, où il est professeur adjoint en neurologie et en neurochirurgie. Il a développé un intérêt pour les céphalées dans le cadre de sa pratique générale en neurologie, puis a commencé à élargir la portée de sa pratique pour répondre aux besoins non comblés des personnes aux prises avec des céphalées. Outre la migraine, il traite des patients atteints de céphalée trigémino-autonomique et d’hypertension intracrânienne idiopathique. Il s’intéresse également à l’éducation médicale et à l’élaboration de modèles de consultations externes pour améliorer la prestation des services de soins de santé. Il souhaite plus précisément améliorer les compétences des médecins sur les aspects techniques des soins des céphalées, notamment le recours à l’infiltration du nerf occipital (nerf d’Arnold) et l’administration de toxine botulinique de type A pour traiter la migraine. Il pratique à l’Hôpital neurologique de Montréal et à l’Hôpital général de Montréal. |
Références
1. Boyle R, Behan PO, Sutton JA. A correlation between severity of migraine and delayed gastric emptying measured by an epigastric impedance method. Br J Clin Pharmacol. 1990
2. Aurora SK, Kori SH, Barrodale P, McDonald SA, Haseley D. Gastric stasis in migraine: more than just a paroxysmal abnormality during a migraine attack. Headache. 2006;46:57-63
3. Volans GN. Migraine and drug absorption. Clin Pharmacokinet. 1978;3:313-318
