
Par Marie-Eve B.
À toi qui es dans mon entourage ou qui croiseras un jour mon chemin, sache que ma condition est plus complexe que tu ne le penses. Sache que tout ce dont j’aspire à attendre de toi est que tu ne me juges pas et que tu me crois. Je n’ai pas l’énergie de devoir te prouver la crédibilité de ma douleur.
À toi non-migraineux ou à toi personne à mal de tête occasionnel, je suis désolée qu’il n’existe pas de guide simple « migraineux pour les nuls », mais plutôt un grand éventail de possibilités et d’impossibilités. Je suis désolée de ne pas te rendre la tâche facile, d’être là pour moi.
Il y a toutes les chances du monde que si tu es avec moi pendant que je suis en crise, tu ne t’en rendes pas compte. On devient, avec le temps, maître dans l’art du camouflage, on se cache derrière notre masque de « je vais bien ». Pourquoi? Par peur d’incompréhension? Par souci de facilité? Par envie de sécurité? Par nécessité de ne pas être un fardeau? Toutes ces réponses?
Alors, je t’en prie, ne tiens jamais pour acquis que si mon mal ne paraît pas, cela veut dire que je ne souffre pas, ou si ce qui paraît ne rentre pas dans ton cadre de symptômes handicapants acceptables, cela veut dire que j’exagère.
Souffrir de la migraine, c’est souvent souffrir en silence, comme bien d’autres pathologies neurologiques et psychologiques, d’ailleurs. |
Pendant que tu me raconteras ton weekend, mon sourire me sera douloureux, j’aurai chaud, j’aurai des nausées, je perdrai le fil de ce que tu me dis et je me sentirai mal d’avoir une écoute inattentive. Et lorsque viendra le temps de te répondre, je ne trouverai pas mes mots, j’aurai des troubles de mémoire et j’aurai le regard absent, et ça me frustrera, énormément. Ce simple échange fera monter en moi la culpabilité de ne pas être 100% là. Toute cette danse interne tu ne la remarqueras pas. Ce combat entre agir « normalement » et montrer sa faiblesse est constant. C’est instinctif de vouloir faire « comme tout le monde », c’est plus fort que moi, sois indulgent. Le regard dans tes yeux quand j’étale l’étendue de mes maux, il fait mal lui aussi.
Sache qu’il est difficile plus pour moi que pour toi que ma condition contrôle trop souvent les ficelles de mon pantin. Que mon mal de tête ne se soulage pas simplement par la prise de médicament et que ce médicament, je ne peux pas le prendre tout le temps. Sache aussi que ce médicament, je le prendrai souvent pour toi, pour ne pas te laisser tomber, même si j’en paierai probablement le prix plus tard. Parce que ne pas être à la hauteur, ça aussi c’est douloureux.
J’aimerais te faire comprendre que la douleur a autant de couleurs que le monde peut en contenir. Chaque migraineux est différent. Chaque individu, avec ses mille et une essences, réagit différemment à la douleur. |
Deux migraineux pourraient autant avoir des symptômes similaires que des symptômes différents. L’un pourrait vomir tout son soul, tandis que l’autre pourrait dévorer de la crème glacée. L’un pourrait avoir besoin de silence absolu, tandis que l’autre pourrait vouloir écouter de la musique. L’un pourrait être irritable, tandis que l’autre pourrait être surexcité. Chaque être humain est unique, eh bien, c’est autant vrai pour chaque migraineux. Et tu sais quoi ? C’est différent, même d’une crise à l’autre. Difficile à suivre, hein?
N’aie pas la prétention de penser comprendre ce que je vis, car tu connais quelqu’un de près ou de loin de migraineux, n’aie pas la prétention de proclamer connaître un remède miracle, car la cousine de ton collègue a réglé ses problèmes de maux de tête en arrêtant de boire du café. Ce qui a pu être bon pour elle ne l’est probablement pas pour moi, je ne suis pas pessimiste, je parle par expérience.
Ne te méprends pas, tes trucs et astuces seront toujours écoutés et appréciés, je le sais que c’est bien intentionné.
Ton empathie sera toujours accueillie à bras ouverts, mais n’aie jamais la présomption de penser savoir ce que c’est ou de juger de quelque manière mon mal. |
Je vais te dire un secret, moi migraineuse vétérane depuis plus de 20 ans ne le comprend pas totalement non plus.
Ne me juge pas parce que ce qui transparaît de ma condition n’est pas ce à quoi tu t’attends, ce que tu crois connaître des maux de tête. C’est tout à fait possible que ta tante soit clouée au lit pendant des heures lors d’une migraine et que moi je sors de mon lit et vais travailler. Ma douleur n’en est pas moins crédible. C’est tout à fait normal que pour te sortir d’un gros mal de bloc à la suite d’une brosse, cela ne te prenne qu’un grand verre d’eau, 2 Advils, une bonne sieste et qu’en une heure ou deux, après tu sois top shape. Ne nous compare pas, moi, ce ne sera pas le cas. Même si j’arrive à contenir mon mal à un niveau endurable, même si j’arrive à estomper la douleur, je ne serai pas top shape et ça pourra me prendre plus d’un jour ou deux à m’en remettre complètement. Et ça, c’est si je suis assez chanceuse pour que ça ne revienne pas de plus belle pendant ce jour ou deux de « rémission ». Alors, j’espère que tu comprendras qu’être mal aussi souvent me pousse à me cacher aussi souvent, je ne me cache pas seulement de toi, je me cache de moi-même.
Je refuse que mes migraines prennent toute la place et me définissent entièrement. Alors, crois-moi quand j’ai le courage de te montrer des brides de ma vulnérabilité. |
Ne m’en veux pas si je suis trop fatiguée.
Ne me juge pas si une fois j’ai été capable et l’autre non.
Ne m’en veux pas si je te dis non.
Ne me juge pas si je suis lâche.
Ne m’en veux pas si je suis de mauvaise humeur, parfois.
Ne me juge pas si tu crois que tu ferais autrement, dans ma situation. Tu ne sais pas.
Et je t’en supplie, ne dit ou ne pense jamais, au grand jamais, que ça ne doit pas être si pire que ça si je suis capable de faire telle ou telle chose.
Loin de moi l’idée de te donner de mauvaises intentions. J’essaie simplement de mettre un peu de lumière sur ma condition pour t’aider à mieux me comprendre. On dit que l’intolérance vient de l’incompréhension, alors avec la compréhension vient indubitablement la tolérance.
Je te demande donc de me tolérer, tolérer toutes mes cicatrices et fioritures, car il m’est parfois impossible de me tolérer moi-même.